Cher Marcel (ou Comment transformer sa vie en chef-d'œuvre)

Ce voyage dans les coulisses de l'écriture présente la particularité d'être interprété par un écrivain (lauréat des Molières et de l'Académie française). 

En nous invitant à découvrir comme s'est élaboré A la recherche du temps perdu, le plus long roman de la littérature française, il vise à en réveiller le goût de la lecture.

Inutile d'avoir déjà lu la moindre page de Proust pour apprécier ce spectacle.

C'est parfois en cours d'écriture qu'on découvre les raisons profondes qui vous attachent à un sujet, qu'on comprend d'où vient le désir, voire la nécessité qui vous a soudain poussé à le traiter.

Pour ce texte, je pensais savoir, au départ.

J'ai un ami très cher qui, depuis qu'il a découvert Proust il y a longtemps, n'est jamais resté un jour sans lire quelques pages de lui. Cet ami vieillit. Je me suis replongé dans l'œuvre et la vie de Proust parce que je voulais pouvoir en parler de manière précise avec lui, comprendre d'où venait son attachement, partager un peu cette part importante de sa vie.

Mais progressivement, j'ai compris que j'étais animé par une autre raison plus personnelle : c'est que, malgré sa notoriété planétaire, Proust s'est heurté toute sa vie aux difficultés auxquelles est confronté tout écrivain. Du fait de sa stature, il humanise ces difficultés. Il apporte des réponses à des questions que je me pose depuis que j'écris.

C'est parce qu'il a un tel écho pour moi qu'a cheminé l'idée de l'interpréter moi-même, mis en scène par Joëlle Séranne avec qui je partage une longue complicité artistique.

Un homme entre dans un appartement désert. Il est venu arroser les plantes d'un ami absent, manifestement amateur de littérature et de musique. On apprend que cet absent, qui s'appelle Jean-Pierre, considère que Proust lui a sauvé la vie, quand il avait 17 ans.

C'est dans cet appartement, hanté par la présence fantomatique du grand écrivain, que notre personnage va élaborer, en complicité avec le public, une " lettre théâtrale " adressée à Proust. Parviendra-t-elle à son destinataire ? C'est peu probable. Encore que, avec ce grand explorateur du temps, on ne sait jamais…

Fidèle à l'esprit proustien qui n'est jamais explicatif, la mise en scène restera toujours dans la suggestion.

La musique occupera une place importante car le spectacle fait l'hypothèse que Proust aurait préféré être compositeur plutôt qu'écrivain (à défaut de notes il emploiera les mots pour faire de la musique).

Des images apparaîtront ponctuellement dans l'encadrement d'une fenêtre comme le prolongement de la pensée du personnage.

Mais c'est avant tout sur le travail d'acteur que passeront les multiples émotions que suscite Proust et l'évocation des êtres réels ou fictifs qui l'entourent.

Quand il repartira en refermant l'appartement, notre personnage sera lui-même transformé. La force d'une grande œuvre ne réside-t-elle pas dans ce qu'elle nous apprend sur nous-mêmes ?

Joëlle Seranne